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« C'était une mère irréprochable » : ainsi finit cette brève chronique d'enfance plus malheureuse qu'heureuse, publiée en 1946 par Albert Camus pour sa collection L'Espoir. Irréprochable ? La mère de Violette Leduc ne l'est pas vraiment ; aux yeux de sa fille c'est une mère « inhumaine », dure, irritable, injuste, qui place la gamine au pensionnat « à cinq minutes » à pied de chez elle ! Une situation impensable aujourd'hui. Comme on s'en doute d'après le titre et comme on s'en aperçoit à la lecture, le thème essentiel de ce court roman est le procès à charge de la mère brutale, comparée à la douceur de la grand-mère Fidéline. Dès l'incipit, la récrimination est claire : « Ma mère ne m'a jamais donné la main ».

• La figure de la grand-mère maternelle est fortement valorisée. Elle sait aimer et cajoler sa petite-fille. Pourtant sa vie n'a pas été rose, mariée trop jeune à dix-huit ans, elle s'est retrouvée aussitôt trompée et puis veuve à vingt et un ans : elle donna alors naissance à une orpheline puis a connu diverses places de domestique.

La figure de la mère, c'est Berthe, à son tour placée comme servante chez des bourgeois. C'est ainsi qu'elle a « fauté » avec un « fils de famille » ; chassée par cette famille elle a donc mis au monde une bâtarde. Dès lors Berthe s'est efforcée d'obtenir de « l'autre », c'est à dire d'André, une compensation financière. Mais André est atteint de tuberculose, maladie dont meurt aussi la grand-mère. Dans ces années 1920, cette maladie faisait encore beaucoup de victimes. La contagion est redoutable, la mère s'inquiète légitimement pour sa fille, mais sans être chaleureuse. La mère est une coquette, très soucieuse de son apparence physique, de suivre la mode : on porte encore des voilettes, des chapeaux fragiles, les dentelles sont souvent mentionnées — c'en était le pays.

La petite-fille, —la narratrice en retrouve tout à fait l'état d'esprit—, est tentée de chercher à mieux connaître ce père naturel qui reste distant même quand Berthe l'emmène jusqu'à lui, de retour du sanatorium, pour lui mettre son « boulet » sous les yeux et obtenir la promesse d'une rente. Car c'est ainsi que la mère la qualifie, un boulet, ajoutant un « Qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu... »  ou un « Si tu bouges, je te démolis... », ou encore « espèce de sauvage », toujours pour gronder cette gamine qui a effectivement tendance à gaffer, à perdre son parapluie, ou tomber dans le bassin du jardin public.

• Diverses autres personnes de la ville du Nord où l'action se passe retiennent les souvenirs de la petite-fille : des gens âgés, un contrebandier car la Belgique est proche, des rencontres au jardin public. La narration fragmentaire mais élégante de Violette Leduc laisse aussi une place pour la musique au bal du 14 juillet, au cinéma et au concert donné au théâtre municipal : une surveillante y conduit la petite-fille que sa mère n'a pas appelée auprès d'elle pour le congé de Pentecôte. On n'oubliera pas quelques souvenirs scolaires : avec Mandine à la petite école, et puis la brève apparition d'Hermine au collège : « Hermine, l'élève extraordinaire au profil grec ». Avec elle la narratrice découvrira l'amour : elle se retrouve dans “La Bâtarde”, dans “Ravages” sous le nom de Cécile, et Isabelle dans “Thérèse et Isabelle”.

• Violette Leduc. L'Asphyxie. Gallimard, 1946, 188 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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