Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Volodine, ici alias Manuela Draeger, entend écrire une littérature “absolument étrangère”, dont les personnages apatrides vivent, dans des lieux anonymes et à une époque floue, des aventures de portée universelle. Entre conte et récit réaliste, recourant volontiers à un lexique décalé, créant des néologismes, l'auteur bâtit un univers fictionnel qui cependant fait sens.

 

Dans le monde des vivants,“chacun a sa manière de se nourrir”. Alors, chacun peut devenir la proie d'un autre : parfois on croque autrui sans réfléchir ou sans le savoir… Bobby Potemkine se réfrigère d'ennui solitaire depuis que son chien Djinn, instrumentiste dans un orchestre a dévoré sa collègue, Lili Guesaldo et a dû la remplacer. Heureusement survient son ami Big Katz, le gentil crabe laineux. On lui a dit que tous les petits garçons et les petites filles avalaient à leur insu, dans leur bol de nouilles, le macaroni Auguste Diodon : ce n'est pas “normal” ! Comme dans tout conte, cette nouvelle déclenche l'action : avec leur copain le Tigre “à odeur de pipi”, les deux héros fabriquent une pancarte, tentent d'organiser en pleine nuit une manifestation pour “réveiller l'opinion”, mais leur pétition ne récolte que leurs seules signatures…
 

Dans cet espace où les ampoules sont toutes grillées, où des météores ont détruit beaucoup d'immeubles, les trois amis galèrent d'épreuve en épreuve. Entre deux marées, réfugiés sur un canoë sans rames il subissent les moqueries de Lili Niagara, ancien amour de B. Potemkine, qui les survole avec ses copines “chauves-soubises” sans tenter de leur venir en aide. Ils atteignent enfin le Fouillis, au nord de l'usine à gloutons désaffectée : c'est là qu'une petite fille s'apprête à avaler A. Diodon dans son bol de nouilles. Sauvé in extremis, il se métamorphose en un “petit bonhomme” en costume de soie noire, chemise blanche, souillé de taches d'oignon et de sauce soja. Il invective ses sauveteurs, lui “l'important membre du gouvernement”. En s'enfuyant se plaindre à la police il tombe dans l'escalier et le Tigre le dévore.
 
Sous des travestissements non humains se cachent, comme dans la grande tradition des fables, des rôles sociaux identifiables ; hormis Diodon, riche membre d'un quelconque parti, les autres sont de petites gens malheureux mais sans fatalisme ni résignation, animés d'un grand sens de la solidarité. S'ils tentent d'agir de bonne foi contre l'injustice leur altruisme se retourne contre eux ; naïfs ils s'engagent sur une rumeur et les apparences les leurrent. Nul ne peut éradiquer en ce monde la banalité du mal, la violence des rapports sociaux qu'induisent les pulsions et l'intérêt en tous milieux : la dévoration constitue la métaphore fondatrice du récit. L'aventure finit bien, le méchant est puni, sans procès ni condamnation : l'instinct du Tigre a eu force de loi. Faire justice soi-même reste la seule issue dans le monde de l'auteur. Néanmoins on ne flirte pas longtemps avec le dramatique : l'humour, la cocasserie de certains néologismes, le petit clin d'oeil à l'amour qui, comme l'enfance appartient aux souvenirs, égayent ce court récit et le rendent accessible à de jeunes lecteurs d'une dizaine d'années.
 
• Manuela Draeger : Au nord des gloutons. L'école des loisirs, “Médium”, 2002, 67 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :