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Entre Chine et Occident, des années 50 à nos jours, Chantal Pelletier entrecroise les parcours de vie de “Cinq femmes chinoises” . L'exergue donne le ton : « Moi je préfère pleurer sur le siège arrière d'une BMW que d'être heureuse sur un vélo » . Toutes aspirent à la reconnaissance sociale, dans la restauration, la mode, l'immobilier, au cœur de cette nouvelle Chine propulsée vers son avenir : rétrocédée en 1999, Hong-Kong est devenue sa vitrine avant que les buildings n'enflamment Shanghai, Pudong et que Pékin ne détruise ses hutongs pour les J.O. de 2008. L'usage du présent, la fréquence des dates, en rapprochant le récit du lecteur lui confèrent son authenticité.
 
Toutes ont vécu une enfance difficile, entre les violences de l'époque maoïste et le poids des traditions : on a exécuté le père de Xiu pour « désobéissance » en 68, liquidés comme « droitiers réactionnaires »  les parents de Fang, tandis que la mère de Meï a été « vendue aux parents de son père ». Toutes ont connu la misère, la crasse des cabanes dont on expulsait les familles pauvres. Toutes s'inscrivent dans la haine et le rejet ; réussir c'est couper les liens avec les parents, tracer son chemin sans époux ni enfants pour certaines. Déterminées, pragmatiques, ambitieuses, elles réussissent grâce à leur pugnacité ; telle Daxia « délivrée de père et mère », Meï qui veut « s'inventer sans mari ». De même « qu'il n'y a pas de sentiments en affaires », ces femmes refusent tout lien affectif entravant comme « les mômes, cette génération de fraises, trop choyés ». De fait, à l'inverse de Xiu qui pousse sa fille Daxia à « être aussi battante qu'elle », Fang et Baoying voient leur vie brisée par la perte de leur enfant : le fils de la première, artiste dissident et homosexuel est exécuté ; celui de la seconde kidnappé à quatre ans. Ces femmes n'ont pas le cœur sec, elles prétendent juste vivre selon leur désir, soit-il homosexuel ; toutefois même si « la loi chinoise ne considère plus l'homosexualité comme une maladie mentale », elles hésitent à s'afficher.
« Les femmes sont plus plus rusées, plus solides, plus déterminées que les hommes » et « quand elles s'y mettent elles sont pires qu'eux ». De fait, C. Pelletier ne fait pas la part belle aux personnages masculins : victime de la répression politique comme Dehlan, l'amant ouïgour de Daxia ; ou de l'alcool tel Deweï, frère de Fang, ancien garde rouge ou Bai son mari qui se suicide.
L'auteur sait à la fois peindre la femme chinoise d'aujourd'hui, individualiste, soucieuse de son apparence jusqu'à l'anorexie, engagée dans le commerce international et en contre-point, à travers Fang et Baoying, une image plus traditionnelle de la condition féminine. En outre, même si le propos vise à construire avec ces cinq personnages une allégorie de la nouvelle Chine, il reste réaliste : l'excipit onirique suggère la fragilité de cette dynamique économique sans cesse en transformation. C. Pelletier rejoint les analyses de Yu Hua dans “La Chine en dix mots”. Reste que l'on ne peut pas s'empêcher de rapprocher ce récit du roman de Ndiaye –“Trois femmes puissantes”–, allégorie de l'Afrique en marche : malgré des variantes, la même survalorisation des figures féminines et la faiblesse des éléments masculins interrogent... La même tonalité féministe se dégage : « Nous commençons à savourer notre revanche et ce n'est qu'un début ».
 
• Chantal Pelletier – Cinq femmes chinoises. Ed.Joëlle Losfeld. 2013, 130 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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