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Onze nouvelles fort humoristiques mais aussi pleines de sympathie — voire de compassion — pour leurs personnages forment ce recueil qui porte le nom du premier texte : Le traducteur cleptomane. Ces nouvelles ne forment pas un regroupement de circonstance : il s'agit de scènes de la vie d'un personnage essentiel, Kornél Esti, probable alter ego de l'auteur, et c'est aussi une occasion de s'interroger entre autres sur la place de l'écrivain dans la société, non pas à la façon d'un sociologue ou d'un moraliste, mais bien plutôt à la manière d'un Alphonse Allais.

Prenons Kornél Esti. Il appartient à l'élite cultivée, c'est un homme que l'on rencontre « au café Torpedo », et qui fréquente les salons et les cercles littéraires de Budapest. Son statut mondain d'écrivain et de conférencier ne l'empêche pas de manifeste d'une large capacité d'écoute à l'égard des amis et connaissances dans le besoin. Il faut préciser que l'édition originale remonte à 1933 dans un pays en crise où des petits entrepreneurs comme le Kalmàn de la nouvelle “La Disparition” ont fait faillite.

Nécessiteux, le poète Gallus l'était aussi — c'est lui le “héros” de la nouvelle qui donne son nom au recueil. La misère a mené Kalmàn a disparaître — enfin pas vraiment — et amené Gallus, le poète pauvre et affamé, à traduire d'une manière bien étrange le polar qu'on lui a confié, geste charitable dû à l'initiative de Kornél Esti auprès de son éditeur. Malheureusement le manuscrit restera impossible à publier, le traducteur ayant subtilisé trop de passages du texte original — bref, une hilarante parabole sur la traduction et un trait d'humour noir sur les poètes puisque, « un poète riche, chez nous ? C'est une absurdité. »

Une autre nouvelle jubilatoire à laquelle je souhaite faire un sort ici, c'est « Le Président ». Non, il ne dirige pas la Hongrie mais une association culturelle et d'ailleurs la scène est transportée en Allemagne. Kornél Esti raconte comment au temps de ses études à Darmstadt, il fréquenta un cercle intellectuel pour l'intérêt des conférences qu'on y donnait. Mais quel que soit le conférencier ou le thème de la soirée, son président, le baron von Wüstenfeld, s'endormait dès que l'orateur recevait la parole et, vrai prodige, se réveillait tout juste pour remercier le savant orateur ! « Oui, son sommeil était l'accomplissement même du devoir national et du devoir humain. En dormant objectivement, sans parti pris, sans préjugé, sans prévention, à l'égard de la droite comme de la gauche, des femmes comme des hommes, des chrétiens comme des juifs, bref, en dormant sans distinction d’âge, de sexe et de culte, il paraissait fermer les yeux sur toutes les faiblesses humaines, et non seulement “il paraissait”, mais il le faisait réellement. Croyez-moi, le sommeil, c’est l'approbation par excellence. Celui qui dort opine de la tête et, par là même, il approuve tout. » Mais, pour le narrateur, ça ne s'arrêtera pas là et cet homme exceptionnel par son sommeil deviendra un objet d'études pour Zwetsche, le neurologue intéressé par la psychanalyse et ami du narrateur. Les deux hommes se demandent de quoi sont faits les rêves du président qui dort en public...

En parcourant ce recueil — joyeux malgré les malheurs qu'il évoque —, on découvrira un étrange pays où chacun se fait une publicité inversée (“La ville franche”), un auteur sans le sou qui raconte l'histoire de l'héritage qu'il a réussi à dilapider avec bien des difficultés certes mais réussissant au bout du compte à rester pauvre comme il sied à tout poète (“L'argent”), sans oublier l'incroyable discussion de Kornél Esti dans un train avec un homme dont il ne parle pas la langue (“le contrôleur bulgare”), ou la façon dont un critique littéraire paresseux discute avec l'auteur d'un manuscrit qu'il n'a pas lu (“Le manuscrit”).

Ironique et pessimiste à la fois, l'écrivain Dezsö Kosztolányi (1885-1936), à la fois nouvelliste et romancier, n'est sans doute pas connu du grand public français mais plusieurs éditeurs ont repris ce classique hongrois : Viviane Hamy (Anna la douce, 1992, Le Cerf-volant, 2011), et plus récemment La Bâconnière (Portraits, 2013), Vagabonde (L'âme et la langue, 2016), et surtout Cambourakis (Une famille de menteurs, et Le trompettiste tchèque en 2016, Venise en 2017).

• Dezsö Kosztolányi. Le traducteur cleptomane. Traduit par Adam Peter et Maurice Regnaut, Viviane Hamy, 1994, 154 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE HONGROISE, #EUROPE CENTRALE ET BALKANIQUE
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